Témoignage de Terrain d’aventure : Tribulations d’un terrain d’aventures permanent - Plaisance, été 2022
Le terrain d’aventures de Plaisance existe en continu depuis juillet 2021. Il a poussé, à l’initiative de la Ville d’Orvault, du CSC Plaisance et des CEMEA PDLL, sur les ruines de l’immeuble du Trieux, détruit l’année précédente dans le cadre d’un projet de rénovation urbaine. Un nouveau batiment sera reconstruit sur ce même emplacement courant 2024. En attendant donc, le terrain d’aventures vit.
Espace d’environ 800 m2, il se compose d’un petit bosquet d’arbres (notre oasis cet été !), d’un cèdre centenaire situé près d’une petite pente agréable à dévaler et d’une zone principale plate, en plein cagnard le plus clair du temps. Vestiges du BTP oblige, le sol y est dur comme de la pierre, pas pratique pour faire des fondations à nos cabanes !
Autour, un grand parking où faire des burns, des espaces de verdure semi-aménagés (notamment par un city stade et un « street work out » vert fluo) et des immeubles plus ou moins neufs.
Depuis les fenêtres des appartements on aperçoit le terrain, sans avoir le nez dessus non plus.
Le terrain est délimité par une canisse mais il comporte quatre accès. C’est un lieu de passage : on le traverse en promenant son chien ou pour se rendre au supermarché. Il n’y a donc ni « ouverture », ni « fermeture » : on ne « ferme » pas un espace public. Nous avons toujours mis un point d’honneur à préciser que le terrain d’aventures était ouvert « 24h/24 et 7j/7 » mais que l’équipe d’animation avait, elle, des horaires de présence : 14h à 19h pendant toutes les vacances et tous les mercredis de l’année. Ces horaires conditionnent l’accompagnement et l’accès au matériel présent dans les conteneurs.. mais pas « l’aventure » pour autant !
« Construire, à quoi bon..? »
Si les terrains « éphémères » connaissent souvent une phase de construction intense à l’ouverture, force est de constater que ça n’est pas sur cette dynamique que s’est lancé le mois de juillet 2022 à Plaisance. Les enfants fréquentent le terrain, ils y traînent, papotent hors ou dans le conteneur (aménagé avec un coin salon), farfouillent dans les jouets, mais entrent plus rarement dans des dynamiques de projet, notamment de construction. Des cabanes plus ou moins abouties existent, elles sont là depuis un mois, parfois deux, certaines datent de l’été dernier, font partie du décor mais on leur prête une attention limitée.
A., 13 ans, fréquentait le terrain l’été dernier mais depuis on ne la voit que très rarement. Un jour que je la croise dans le quartier elle me dit « On vient plus sur le terrain d’aventures parce que les cabanes qu’on avait faites, elles ont été détruites. Donc on a plus envie.. Quand vous [l’équipe d’animation] êtes pas là, y’en a qui cassent tout. » Effectivement, hors vacances scolaires l’équipe n’est présente que le mercredi et il s’y passe beaucoup de choses d’une semaine à l’autre. Et quand bien même si des animateur.ice.s étaient là tous les jours, toute l’année, y’aurait il moins de casse ? Et est-ce un objectif à poursuivre ?
Quoi qu’il en soit pour A., et ce n’est sûrement pas la seule, l’intérêt pour la construction (et pour le terrain d’aventures) s’est tari au fil des mois..
Des envies qui se diversifient selon les saisons...
Cet effet de lassitude, notamment autour de la construction, l’équipe l’avait déjà constaté au cours de l’année. Il nous est donc apparu important d’ouvrir les possibles sur le terrain d’aventures.
Cet été, nous avons par exemple fait le choix de constituer un coffre à jouets et de nous procurer une armoire à déguisement assortie d’un grand miroir. Le conteneur a également été aménagé avec un coin lecture, de la papeterie accessible, des jeux de société aussi. Nous nous sommes aussi doté d’un bar à peinture monté sur roulettes.
L’hiver dernier nous avions fait du feu (dans un bidon), sur lequel nous venions cuire notre pain en boule sur le bout d’une branche. L’activité est vite devenu rituel. Mais en cet été de grande sécheresse et fortes chaleurs, nous avons dû changer nos habitudes : les jeux d’eau et la préparation d’un goûter à base de fruits de récup’ sont devenus les nouvelles évidences de nos après-midis partagées.
...ou les dynamique collectives
Il y a des changements impulsés par l’équipe (l’interdiction momentanée de faire du feu en est une) et puis ceux qui surviennent d’un coup sans crier gare et qui font effet boule de neige.
Fin juillet, G., 15 ans, accompagné d’une petite dizaine de cousins et cousines de passage dans le quartier pour l’été, s’est par exemple lancé dans un grand projet : rénover la plate-forme qu’il avait construite l’été dernier et en faire une cabane à étage. Assidu, le groupe d’enfants a bâti un réel édifice doté d’une porte d’entrée, d’un coin salon et de deux escaliers pour se rendre à l’étage où il est maintenant possible de se poser à plusieurs. Invisible depuis l’extérieur, la cabane offre une véritable cachette dans les arbres.
Cet événement a relancé la dynamique de construction : une cabane voisine a rapidement été construite, elle sera ensuite reliée à la première par une passerelle en hauteur. Puis le phénomène s’est étendu : certains habitués du terrain ont retrouvé de l’attrait pour la construction, désireux eux aussi d’avoir « leur » cabane. Un vendredi soir, Y. 14 ans refuse de nous rendre les outils avant la fermeture, arguant que comme « il y en a [des copains] qui ne peuvent pas venir la semaine quand vous êtes là.. alors il faut laisser les marteaux dehors ! ». Difficile de lui faire entendre que l’accès aux outils doit rester conditionné à notre présence... d’autant que beaucoup d’enfants sont de plus en plus autonomes dans la pratique du bricolage !
Un groupe d’habitué.e.s
Les enfants les plus autonomes sont souvent des grand.e.s habitué.e.s du terrain : cet été, une petite trentaine d’enfants sont venus sur le terrain plus de 15 après-midis sur 40. Il s’agit souvent de fratries ou sorories, qui viennent seul.e.s : nous n’avons quasiment jamais croisé leurs parents. Iels arrivent en général plus tôt que les autres enfants et sont parfois présent.e.s dès notre arrivée. Bien souvent iels papillonnent entre le terrain, les aires de jeux alentours et leur domicile. Le soir, au moment où l’équipe d’animation quitte le terrain, certain.e.s restent pour jouer dans les cabanes, iels investissent également le lieu le week-end.
Ce groupe forme un collectif plus ou moins subi : celui des enfants qui ne sont pas (ou très peu) parti en vacances, celleux qui restent dans le quartier mais ne fréquentent pas pour autant le CSC : par choix des parents, méconnaissance de la structure, maîtrise approximative de la langue française. Le terrain d’aventures, par son accessibilité (gratuit, sans inscription, permanent) leur offre un endroit où passer le temps. D’autant que l’endroit comporte peu d’interdits. Petit à petit, iels s’y investissent, parfois violemment ou bruyamment, faisant peut-être parfois fuir les familles qui auraient voulu s’y poser au calme ou les enfants plus sages ou timides..
Certain.e.s font un peu leur loi et s’autoproclament « VIP du terrain d’aventures »... statut imaginaire qui donnerait le droit d’échapper au rangement !
Les animateur.ice.s du terrain : des référent.e.s un peu hybrides
Être animateur.ice sur un terrain permanent comporte des spécificités. Par exemple, si sur les terrains « éphémères » le passage des permis outils prend souvent pas mal de temps à l’équipe, ça n’est pas le cas à Plaisance. Instituée l’été dernier, cette pratique a progressivement disparu au fil de l’année car les enfants accueillis en étaient petit à petit tous et toutes « titulaires ». Nous préférons aujourd’hui privilégier un accompagnement moins formel, plus individualisé.
L’accueil de nouvelles personnes, bien que régulier, n’est pas non plus une récurrence car le terrain est de plus en plus connu.
Alors parfois on pourrait se demander à quoi on sert finalement… ouvrir et fermer des conteneurs ? Ramasser les clous rouillés ? Rapatrier des bouts de bois égarés au stock pour « cleaner » l’endroit ? Nettoyer les pinceaux qu’un.e artiste à laisser traîner dans l’herbe ? Rénover les cabanes défraîchies ? Les consolider ? Alors oui pour tout ça.. mais pas que !
On prend le temps de la rencontre avec chacun.e, on joue, on fait des blagues, on discute de sujets parfois sensibles, on est disponibles pour lire une histoire au calme dans le conteneur, papoter autour d’un café avec un parent, on profite d’une séance photo pour parler de droit à l’image et de consentement explicite, on part dans les locaux voisins pour préparer le goûter en petit groupe, on dévale la pente herbeuse sur le bateau à roulettes, parfois on va faire des petites courses avec quelques enfants au bout de la rue, on projette aussi de visiter d’autres terrains d’aventures. On régule, on sanctionne aussi, on discute des règles et du cadre. On accueille les appréhensions nerveuses de certain.e.s qui vivent leur premier flirt amoureux, ou encore de celleux qui se demandent ce que tout cela va devenir quand le projet de construction de l’immeuble va reprendre... sur leur terrain.
Nous sommes des référent.e.s un peu hybrides : ni profs, ni parents, nous ne sommes pas non plus habitant.e.s du quartier mais notre présence cet été est constante. Iels savent où nous trouver et qu’il y aura toujours un truc à faire, quelqu’un.e à qui parler ou avec qui jouer. Permanent et spontané, le terrain d’aventures de Plaisance devient un véritable repère affectif pour certain.e.s enfants du quartier.
« Le terrain d’aventures c’est un endroit où on peut.. construire des cabanes, apprendre, se sécuriser, prendre le goûter. Tu peux écrire sur les murs, tu peux te reposer, y’a des canapés.
Le terrain d’aventures, c’est un endroit de faire plaisir aux gens. »