Un séjour sur une base de loisirs en juillet 2022 : 16 jeunes de 12 à 14 ans.
Le téléphone portable, nommé ici TP, fait partie intégrante de la vie des jeunes : du réveil au coucher. Il est dans la poche, sert à avoir l’heure, vérifier s’il y a un message (Messenger) permet de jouer et le soir de téléphoner à la famille.
Nous, équipe d’animateur.ices, aménageons un espace avec multiprises pour recharger les TP durant la nuit. Les jeunes fixent eux-mêmes les règles : priorité à celui qui a moins de 4 % de charge. C’est un accord tacite, d’usage.
Le TP n’empêche pas l’activité : les jeunes bricolent, construisent, jouent et participent activement au séjour. Nous n’entendons pas de sonnerie, les messages n’émettent pas de Bip, ni de vibration. Le TP est le prolongement d’eux-elles mêmes.
C’est une surprise pour moi : le TP n’est pas un objet en plus. Comme la casquette qui protège, la gourde qui permet de boire, le téléphone permettrait de téléphoner. Non ! Le TP est eux.elles.
Alors, j’observe, j’écoute. Leurs échanges autour des jeux, les conversations sur tel ou tel sujet suscitées par un message sur un fil de discussion.
Là , je réalise : illles sont en Ré-action, pas en réflexion, discussion, questionnement et réponse. Non, illes ré-agissent du tac au tac.
Et lors des Conseils (temps institutionnels) illes n’attendent pas que leurs pairs aient terminé une proposition, un argument. Illes ré-agissent en prenant la parole, coupant l’élaboration en cours d’une construction collective. Le fond exprimé est intéressant, mais la forme ne permet pas l’écoute, la relation à l’autre. Passant d’une idée à une autre, il n’y a pas d’élaboration collective, et ceux-elles qui sont en retrait, qui ont de la difficulté à s’exprimer en groupe, ne sont pas pris en compte.
Dans notre mouvement, la question du TP, de ses usages, de ce qui est diffusé (images, paroles, vidéos) est travaillée. Nous avons des actions auprès des jeunes, aussi bien dans les établissements scolaires, que dans les espaces jeunes (Promeneur du Net). Tout ceci participe à l’émancipation des jeunes : décrypter, connaître, développer son esprit critique, pour choisir, construire.
Dans nos formations, le TP est aussi un outil de recherche, de communication pour un groupe via des applications comme WhatsApp, Insta.
Mon interrogation porte sur « comment faire prendre du recul aux jeunes, sur la mise Ă distance de ce qui est Ă©crit dans une conversation » ? Ceux.celles que j’ai interrogĂ©.e.s sur le fait de ne pas rĂ©pondre tout de suite Ă un commentaire, m’ont rĂ©pondu : « Ce n’est pas possible, après c’est trop tard. On loupe le moment ! C’est donc maintenant ou c’est foutu !! Et quand c’est « foutu » tu es hors conversation, tu ne fais plus parti du groupe »
Le manque de ré-action est donc excluant, par des personnes souvent inconnues, habitant à l’autre bout de la planète ou pas,mais dont la proximité se fait par écran interposé. Difficile alors d’élaborer collectivement, de construire ses propres arguments, et de vivre la confrontation.
Nos propositions de séjours pour les jeunes pourraient intégrer une réflexion dans notre démarche de faire vivre des vacances autrement.
Témoignage d’une jeune -16 ans
A la question : Pourquoi tu penses ne pas être capable de te séparer de ton téléphone ?
« Je ne pense pas pouvoir me sĂ©parer de mon tĂ©lĂ©phone car c’est pour moi important de toujours pouvoir communiquer avec mes ami.es et ma famille. Que ce soit pour des choses importantes ou juste pour pouvoir me dĂ©tendre en parlant de tout et de rien. Mon tĂ©lĂ©phone m’est surtout indispensable avant de me coucher, je sais que ce n’est pas bon pour la santĂ© et le sommeil. Mais j’en ai besoin pour pouvoir dormir car j’ai tendance Ă stresser le soir. Et donc mon tĂ©lĂ©phone me permet de m’évader un peu, de me rassurer et de me faire oublier quelques inquiĂ©tudes. »